понедельник, 25 февраля 2013 г.

Memoir and Hero at Wagner and Verdi

Le philtre fait table rase des souvenirs et des sentiments. Après le philtre et sous ses effets, je est vraiment un autre. Le rôle du philtre est la preuve même que le héros idéal ― wagnérien, mais aussi verdien ― est un héros sans mémoire, ignorant son passé, doutant de son identité : Parsifal et Siegfried, par exemple, ou Manrico. Ignorants de tout, ils vivent dans un état d’irresponsabilité, presque au sens juridique du mot : tous sont, pour diverses raisons, hors la loi (le Hollandais, Tannhäuser, Lohengrin, Amfortas, Parsifal, Walther, Wotan…), mais, bien souvent, leurs crimes mêmes ne leur sont pas imputables puisqu’ils les commettent sans en avoir conscience (Parsifal) ou qu’ils les commettent précisément pour retrouver l’identité ignorée. Wagner a poussé avec Siegfried le procédé à son comble : il ignore tout de lui-même jusqu’à ce qu’il tire Brünnhilde de son sommeil, état d’ignorance vers lequel le philtre de Gutrune le fait retourner bien vite. Siegfried est le symbole même de l’inconscience du héros, et d’un destin qui mêle à parts égales enthousiasme naïf et coups du sort. 
Parallèlement à cette absence de mémoire, on trouve tout aussi fréquemment des personnages hypermnésiques, ce qui est une autre forme de folie : Kundry pour Parsifal, Brünnhilde (et même Mime, étrange marâtre) pour Siegfried, Azucena pour Manrico. La dynamique du destin procède précisément de ce déséquilibre entre celui qui ne sait rien et celui (nous devrions écrire celle) qui sait trop, entre la furieuse liberté de celui qui n’a conscience d’aucune contrainte et la furieuse rancœur de celui qui tire vengeance de tout. La trame dramatique réside bien souvent dans cet ajustement progressif des déséquilibres dans la détention de l’information : tout le monde doit progressivement tout savoir, par révélations successives. Mais la révélation est indissociable de la mort : de deux choses l’une, soit c’est la révélation qui tue, soit c’est la mort qui révèle. 
Cette fonction de la mémoire ne concerne pas uniquement ce que les héros révèlent : l’œuvre abonde en poches de mémoire qui se percent une à une et dont le contenu englue malgré eux les héros. Ce sont là les effets dramatiques les plus puissants : lorsque la mémoire ― non pas la mémoire de quelqu’un, mais la mémoire indéfinie, en général ― fait irruption sur scène ou dans le fil sonore. Deux manifestations saisissantes chez Wagner : lorsque Siegmund (La Walkyrie, I, 2) évoque son père, à lui inconnu, c’est le motif du Walhalla qui l’accompagne à l’orchestre. Même chose lorsque Sieglinde parle du « vieillard vêtu de gris » (I, 3). De qui donc, à ce moment précis, l’orchestre est-il la voix, de qui est-il la mémoire ? De personne : il est la voix et la mémoire. Il est le signe même qu’une force transcendante supérieure observe tout, conduit tout, sait tout, et n’oublie rien.

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